Doppelgänger
La question du double est vieille comme le monde, elle nourrit nombres de mythes depuis des millénaires – de l’Iliade à Black Swann – et ne fait rarement bon présage puisque l’apparition de son double est souvent de funeste augure. Aujourd’hui elle trouve peut-être enfin une explication « rationnelle » hors de la culture populaire dans le domaine des neurosciences cognitives puisqu’il est désormais possible de provoquer par simple stimulation électrique d’une zone précise du cerveau l’illusion de la présence de son double, ainsi que le démontrent les différentes études de l’équipe du Professeur Olaf Blanke aux HUG et à l’EPFL depuis 2006. Jusqu’alors l’apanage de personnes atteintes de maladies mentales ou de troubles neurologiques avancés (parkinson, schizophrénie, etc.), le sujet sain est désormais “capable” de percevoir son double sur “demande”.
Dans les situations crées par Myriam Tirler, le registre n’est pas celui de l’hallucination, les personnes présentes sont bien réelles, mais encore faut-il savoir laquelle est le double de l’autre… Chaque image traite le sujet avec beaucoup de nuance et révèle différents degrés de relation possible – que le double soit la projection de soi dans le temps, son alter-ego de sexe opposé, la sœur souhaitée, l’ami imaginaire, Narcisse, la complice ou le concurrent.
“Je est un autre.” Cette fameuse phrase d’Arthur Rimbaud s’applique particulièrement bien au travail de Myriam Tirler. Le sujet ne s’identifie plus à son soi propre, il y a un déplacement de la conscience, l’apparition d’un personnage, l’autre qui réside en nous. Le professeur Blanke tire également un parallèle entre les mécanismes neurocognitifs présent dans les phénomènes d’induction d’une présence corporelle illusoire et la pratique artistique de l’autoportrait comme de la contemplation de tels portraits. La conscience de soi se scinderait entre l’être et sa représentation, le soi se retrouve en deux lieux distincts simultanément.
De l’intime à l’étrange, de la sensation du moi à celle du soi, de la compréhension du même par le différent, voici quelques uns des paradoxes à explorer en contemplant ces doubles portraits.
“ Le point de départ de cette série est le sentiment d’étrangeté provoqué par le facteur de répétition du même. Il s’agit d’un sentiment de déjà-vu déclenché par la rencontre avec quelque chose de connu mais oublié ou de familier devenu étranger. Il pourrait s’agir d’un visage comme d’un paysage. Lorsque nous sommes frappés par cette impression et que nous ne pouvons pas situer l’origine de ce souvenir, le trouble suscité par cet événement peut être inquiétant et nous sommes parcourus d’un frisson étrange. “
La photographe Myriam Tirler provoque la rencontre de deux personnes complètement étrangères l’une à l’autre mais dont la ressemblance physique est telle qu’elle s’apparente à celle de la figure jumelle ou du double – le doppelgänger ; elle saisit sur ses clichés cette rencontre en miroir. Les images qui résultent de cet exercice sont fascinantes parce qu’elles laissent planer un doute quant à la filiation possible entre les personnes et parce qu’elles posent franchement la question de l’identité : – Ne suis-je donc pas unique au monde ? Quelle est cette personne qui me ressemble mais qui n’est pas moi ? Ai-je un lien avec elle au-delà de l’apparence ?
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